Je me souviens encore du bruit. Ce grondement sourd des laminoirs qui vous vrille les tympans, même avec les protections. C’était en 2019, dans une usine sidérurgique près de Dunkerque. La chaleur des hauts fourneaux vous gifle le visage à dix mètres, et l’odeur métallique du fer en fusion s’incruste dans vos vêtements pour des jours. Mais ce qui m’a vraiment hanté, ce n’était pas le spectacle brut de l’industrie lourde : c’était cette question cauchemardesque — comment ces cathédrales de métal, responsables de 7% des émissions mondiales de CO₂, peuvent-elles survivre à la transition verte sans s’effondrer ?
- Le grand bluff de la transformation digitale industrielle
- Démystification technologique : entre LSTM et chaos industriel
- Un marché de niche… ou d’illusion ? Les vraies marges de la décarbonation
- Une équipe brillante… mais un angle mort commercial ?
- Face aux géants, le couteau suisse de la deeptech
- Discipline de la levée : le vrai game-changer
- Roadmap : trois ans pour rentrer dans la légende
- 2027 : champion du continent ou promesse perdue ?
La réponse que j’ai trouvée ce jour-là était glaçante : elles ne le peuvent pas. Pas avec leurs outils actuels. Et, pour être tout à fait franc, c’est un mythe éreintant de croire que l’industrie lourde freine par mauvaise foi. La vérité est plus brutale. Quatre-vingts pour cent des industriels pilotent à l’aveugle, avec des données Excel vieilles de trois mois, pendant que Bruxelles leur impose des rapports trimestriels détaillés via la CSRD. C’est comme demander à un pilote d’atterrir dans le brouillard sans radar.
Zakaria Saidi et son équipe chez Policloud ont compris ce que beaucoup n’osent admettre : le problème n’est pas l’absence de données, mais leur chaos organisé. Leur solution ? Un jumeau numérique dopé à l’IA qui recompose les systèmes industriels et génère des recommandations en 48 heures. Levée : 500 000 euros en Pre-Seed. Clients pilotes : Saint-Gobain, Ferrero, Stellantis. L’ambition ? Devenir le Palantir européen de la décarbonation industrielle.
Le grand bluff de la transformation digitale industrielle
Des responsables RSE de groupes CAC 40 confessent, en aparté, compiler manuellement leurs bilans carbone dans des fichiers Excel, croisant les doigts pour que l’audit externe ne débusque pas d’anomalies. L’un d’eux souffle : « Nos modèles de prévision datent des années 1990. » Il faut briser le mythe : non, l’industrie 4.0 n’a pas pénétré les usines européennes. Les systèmes ERP, SCADA, MES sont chacun dans leur bulle. Le directeur d’usine reçoit trois rapports contradictoires sur la même consommation énergétique. La maintenance ? « On a quinze systèmes différents. Pour vérifier la pression d’air comprimé, il faut trois semaines d’analyse manuelle. »
Policloud attaque ce chaos en trois temps. Intégration d’abord : connexion à tous systèmes legacy via connecteurs standards. Ensuite, modélisation physique : reconstruction 3D de l’usine. Enfin, IA prescriptive : des modèles machine learning entraînés sur 50 000 équipements industriels.
Le résultat ? Saint-Gobain a économisé 12% de sa consommation électrique sur son site de Pont-à-Mousson en six mois, soit 2,3 millions d’euros par an. Ferrero a réduit ses émissions de 1 800 tonnes de CO₂ sur sa ligne Nutella. Ces chiffres sont certifiés ISO 50001.
| Métrique | Avant Policloud | Après 6 mois | Impact annuel |
|---|---|---|---|
| Consommation électrique (Saint-Gobain) | 100 GWh/an | 88 GWh/an (–12%) | 2,3 M€ |
| Émissions CO₂ (Ferrero) | 15 000 t/an | 13 200 t/an (–12%) | 360 k€ (taxe évitée) |
| Temps reporting CSRD | 120h/trimestre | 8h/trimestre (–93%) | 180 k€ (coût FTE) |
Mais — et c’est là l’éléphant dans la pièce : si les systèmes legacy sont trop vieux, la précision du jumeau numérique s’effondre. Les usines des années 1970 exigent des mois de nettoyage de données.
Démystification technologique : entre LSTM et chaos industriel
La première impression ? Encore un dashboard BI de plus. Erreur fatale. Leur stack technique est d’une profondeur inhabituelle dans la green tech. Policloud déploie ses propres capteurs sur les équipements critiques : débitmètres, pinces ampèremétriques, sondes PT100. Données collectées : 2,4 milliards de points/mois.
L’IA ? Des modèles hybrides LSTM, champions des séries temporelles courtes avec dépendances longues, adaptées à l’industrie. Les transformers, stars des contextes massifs, sont encore trop gourmands pour l’edge computing, mais l’évolution (TinyBERT, DistilFormer) ouvre une brèche : la prochaine étape logique du secteur ? Thomas Leclerc précise : « Nos modèles ML ont été entraînés sur 50 000 nomenclatures industrielles réelles. On ne fait pas de prédiction générique. »
Néanmoins, l’usage des LSTM en contexte industriel, donc bruité, a ses limites : vieillissement des machines, rotation des équipes — la précision des prédictions fluctue. C’est dans ces imprécisions que la concurrence s’engouffre.
La conformité ? Policloud automatise les rapports CSRD exigés par l’UE. Un responsable EHS chez Stellantis avoue : « On a divisé par 15 le temps passé sur nos rapports ESG. » Cela devient vital : 50 000 entreprises européennes sont désormais concernées par la publication des rapports ESG.
Un marché de niche… ou d’illusion ? Les vraies marges de la décarbonation
Le marché du digital twin industriel atteindra 47,6 milliards de dollars en 2030 selon Grand View Research — mais n’y voyez pas un rush. Un chiffre trompeur : seuls 8% des industriels européens y ont recours pour optimiser leur énergie. Pourquoi ? Parce que le mythe du jumeau numérique « plug and play » est une illusion. Chaque usine est un flocon de neige algorithmique : seules les solutions sur-mesure passent à l’échelle.
Facteur clé : la course réglementaire, avec le marché européen du carbone à 90 euros la tonne de CO₂. L’enjeu : 280 milliards d’euros d’ici 2030. Policloud adopte un pricing SaaS — pas de Capex, facturation sur l’économie générée (30% la première année, puis forfait). Pipeline : 47 sites en négociation, ARR potentiel de 4,2 millions fin 2025.
Mais ce modèle, séduisant sur le papier, est un gouffre en cash-flow : pendant le pilote, six à douze mois sans revenu. « Les business models à la performance plaisent aux clients mais tuent la trésorerie des jeunes pousses », m’explique un CFO cleantech.
Une équipe brillante… mais un angle mort commercial ?
Zakaria Saidi (CEO, ex-MIT, ex-McKinsey, déclic chez ArcelorMittal : « des brillants perdant leur temps sur Excel »), Thomas Leclerc (CTO, ex-DeepMind, reinforcement learning appliqué à l’industrie) : duo technique surqualifié, équipe dense (18 personnes dont 67% PhD/ingénieurs grandes écoles). Mais — le ventre mou, ici, c’est la vente : qui chez eux va convaincre les directeurs d’usine qui haïssent le changement ? La meilleure tech au monde ne se vendra jamais seule dans la sidérurgie, où chaque achat traverse cinq niveaux hiérarchiques…
Face aux géants, le couteau suisse de la deeptech
Le marché est fragmenté : Siemens avec MindSphere, Schneider Electric avec EcoStruxure, Dassault Systèmes avec 3DEXPERIENCE — des plateformes lourdes, 12 à 18 mois de déploiement, 2 à 5 millions d’euros par site et… zéro IA prescriptive sur l’énergie (seulement du monitoring). Leur talon d’Achille ? Ils vendent la visibilité, pas l’action. Les startups IA (Metron, Carbon Re, Verkor) restent hyperspécialisées ou beaucoup moins intégrées. Policloud fait le pari inverse : ultra-rapide (six semaines déploiement), pricing basé sur la valeur, focus décarbonation industrielle.
| Acteur | Cible | Prix | Déploiement | Point fort | Faiblesse |
|---|---|---|---|---|---|
| Policloud | Industrie lourde | 30% économies Y1 | 6 semaines | IA prescriptive + CSRD | Trésorerie |
| Siemens MindSphere | Tous secteurs | 2–5 M€/site | 12–18 mois | Écosystème mature | Pas d’IA prescriptive |
| Metron | Bâtiments | 50k€/an | 3 mois | Spécialiste tertiaire | Pas industrie lourde |
| Carbon Re | Cimenteries | 1M€/site | 9 mois | Computer vision | Hyper-spécialisé |
Pourquoi Siemens ne domine-t-il pas déjà ? Piège de l’innovateur : leur ADN est hardware, pas SaaS, pivoter menacerait leurs marges — le cas d’école Kodak vs numérique.
Discipline de la levée : le vrai game-changer
La levée Pre-Seed de 500k€, en mars 2024, menée par Bpifrance et des angels industriels puissants, a été bouclée en huit semaines, deux fois plus vite que la moyenne deeptech française. Leur secret ? Trois contrats pilotes signés avant la levée. « On a passé 18 mois à valider, quand on a levé, 400k€ de pipeline déjà là. » L’utilisation des fonds ? 60% R&D, 30% commercial, 10% ops — priorité à l’efficacité, pas au blabla marketing.
Bpifrance ajoute un effet réseau industriel irrésistible (Saint-Gobain, Engie) et les angels, ex-VP de grands groupes, décrochent des deals autrement inaccessibles. Cette activation du « network » est la vraie avant-garde des levées de fonds deeptech.
Roadmap : trois ans pour rentrer dans la légende
Feuille de route en trois actes.
2025 : consolidation France, 20 sites live, module CSRD automatisé, +8 ingénieurs.
2026 : expansion Allemagne/Italie (180 000 sites industriels), partenariats IT (Cap Gemini, Atos), 50 sites, 6 M€ d’ARR.
2027 : pivot Platform, marketplace d’apps métier, ouverture API pour que les industriels buildent sur l’infra Policloud. Ambition ? Devenir l’AWS européen de la transition énergétique.
Risque ? Dépendance à l’investissement industriel (récessions), complexité d’intégration sur legacy, réaction des géants. S’ils protègent bien leur IP, l’effet réseau data est réel… sinon, ils seront copiés ou absorbés.
2027 : champion du continent ou promesse perdue ?
L’avenir de Policloud ? Cela dépend de trois points : vélocité commerciale, avance technologique, robustesse face à la concurrence US.
Scénario haute volée : 200 sites, 18 M€ d’ARR, module CSRD de facto standard, exit à 400 M€.
Scénario réaliste : 80 sites, 9 M€, 6% du marché, plusieurs pivots, valorisation 35 M€, exit via intégrateur européen.
Scénario dark : récession, cycles de vente qui s’éternisent, plus de cash avant la Série A, pivot conseil IA, survie mais pas de gloire.
Au final, on saura vite — 18 mois — si Policloud franchit le gouffre entre technologie brillante et puissance commerciale. Saurons-nous collectivement financer 20 M€ pour une Série B, ou faudra-t-il courtiser les Américains?
FAQ
Pourquoi Siemens ne domine-t-il pas encore ce marché ?
Parce qu’ils sont enfermés dans leur histoire hardware et que le SaaS cannibaliserait leurs marges existantes. Leur offre actuelle se limite à du monitoring avancé, sans IA prescriptive d’action. C’est la différence entre un thermomètre et un médecin.
Le modèle SaaS basé sur les économies est-il scalable ?
C’est le vrai risque : le modèle aligne l’intérêt du client avec le fournisseur, mais casse le cashflow des startups. Il faut passer le désert des 6–12 mois de POC sans revenu — seules les boîtes solidement financées survivent.
Que faire si les systèmes legacy sont trop vétustes ?
La précision du jumeau numérique dépend entièrement de l’intégrité des données à la source. Policloud mitige ce point par ses propres capteurs, mais cela accroît le coût et la complexité. Chez certains industriels, le nettoyage data peut durer des mois.
Peut-on vraiment tous secteurs industriels ?
Techniquement, la stack Policloud est universelle. Mais dans la réalité, chaque secteur exige des modules adaptés. La verticale « industrie lourde/énergie/chimie » paraît la plus judicieuse pour bâtir des défenses avant d’élargir.
Pour être tout à fait franc, la seule vérité c’est que le code arbitre désormais l’avenir de l’industrie lourde. La question n’est plus « Peut-on réussir ? » mais « Qui osera prendre le risque de passer à l’échelle ? »

