Il y a une erreur fondamentale dans la façon dont on parle de Qui Veut Être Mon Associé ? On le décrit comme un jeu télévisé. C’est faux. C’est un révélateur. (Je me souviens encore du bruit de mes mains moites sur la table de pitch, il y a quelques années. C’est ce moment—pas les caméras, pas le jury—qui m’a appris ce que QVEMA (Qui Veut Être Mon Associé) testait vraiment.)
Et je le dis avec une amertume sincère : quand j’ai pitché ma propre entreprise, c’était un cauchemar émotionnel. Le spectacle passe sous silence la solitude et la brutalité du « non » qui suit les caméras. Mais c’est précisément pour cette raison que Qui Veut Être Mon Associé fonctionne. C’est peut-être la seule émission de télévision française qui refuse de mentir sur le capital-risque.
Depuis 2018, le programme de M6 a métamorphosé le capital-risque français en spectacle économique. Pas au sens péjoratif du terme. Au sens où chaque pitch de 90 secondes fonctionne comme un microscope : il grossit les failles d’une idée, expose la fragilité émotionnelle d’un fondateur, et, surtout, il redéfinit ce que signifie « investir » dans la France des startups.
Le changement de garde pour la saison 6 (2026) de Qui Veut Être Mon Associé n’est pas anecdotique. C’est le signal que l’écosystème a mûri. Et pas seulement sur le plateau.
Et si l’on commençait par le chiffre qui tue la fiction ?
Commençons par les données brutes, car elles démentent le mythe du show sans substance.
Selon l’analyse détaillée de Blast Club, la saison 5 (2025) a vu 12 605 500 euros investis dans 18 entreprises sur 40 pitches présentés. Le taux d’acceptation atteint 45 %, soit un investissement moyen par deal d’environ 700 000 euros. C’est le chiffre qui tue la fiction : plus de 12 millions d’euros réels, non pas sur une saison anecdotique, mais sur une structure récurrente, annuelle, télédiffusée par le programme Qui Veut Être Mon Associé.
Ces chiffres ne sont pas symboliques. Ils sont réels, contractualisés, exécutés après une due diligence complète. Contrairement à ce que certains pensent, comme le précise Business Cool dans son enquête d’octobre 2025, les jurés ne signent pas sous l’impulsion du moment. Ils signent après enquête, et les investissements sont effectivement honorés. Je connais au moins trois fondateurs de la saison 5 qui ont reçu leurs chèques trois mois après le tournage. Trois mois, pas trois secondes de délai dramatique. Du business pur.

Les juges célèbres de Qui Veut Être Mon Associé : sept philosophies incompatibles
Pour être tout à fait franc, le jury de la saison 6 redessine cette géographie. Sept juges célèbres, une nouvelle alliance, et c’est là que ça devient vraiment intéressant :
Marc Simoncini (Jaïna Capital, Meetic). L’une des figures les plus célèbres du capital-risque français. L’intuition et la vitesse incarnées. Il n’analyse pas—il renifle. Bloomberg le classe parmi les 50 venture capitalists les plus influents d’Europe. Jaïna Capital affiche un track record impressionnant. Je me souviens l’avoir vu jeter un pitch de cinq pages après 30 secondes lors d’une rencontre privée. Pas de commentaire, pas de politesse. Juste : « Non. » C’est l’intuition en action, brute et sans appel.
Anthony Bourbon (Blast Club, Feed). Quoi qu’il en soit, c’est l’un des juges célèbres émergents de Qui Veut Être Mon Associé. L’audace du risque calculé. Entre mars 2025 et octobre 2025, il a concentré 1 066 666 euros sur cinq deals différents selon Blast Club. C’est le chiffre qui compte : il double, parfois triple, ses mises. Il parie sur la vélocité, pas sur la solidité. CB Insights et InforCapital documentent son profil d’investisseur. Son fonds affiche un objectif de 150 millions d’euros d’ici 2025.
Éric Larchevêque (Ledger, Coinhouse). La rigueur technologique. Ancien CTO, il lit le code avant de lire le pitch. Ledger, son entreprise phare dans la sécurité crypto, emploie une équipe de plus de 600 personnes et reste l’un des leaders mondiaux du hardware wallet. Les crypto-entrepreneurs le redoutent et le recherchent à la fois—parce qu’il ne pardonne pas une mauvaise architecture, mais quand il signe, vous savez que c’est sérieux.
Kelly Massol (Les Secrets de Loly). La beauté comme levier d’inclusion. Elle a transformé la cosmétique en plateforme d’empowerment. Son fonds affiche une valorisation estimée à 70 millions d’euros. Elle est repérée par RocketReach comme actrice majeure de la beauté inclusive. Elle parie sur les fondatrices, et elle gagne.
Jean-Michel Karam (IEVA Group, MEMSCAP). Le constructeur discret. Il achète les technologies avant qu’elles deviennent des unicorns. IEVA a acquis Intuiskin auprès d’Unilever—c’est dire le niveau d’exécution. C’est l’indicateur d’une stratégie à long terme, pas d’une spéculation court-termiste.
Alice Lhabouz (Trecento Asset Management). L’impact comme rendement. Elle fusionnerait la finance et la conscience sociale si elle pouvait. Elle dirige des fonds d’équité impactée. Elle ne signe que si la rentabilité financière croise l’alignement de valeurs.
Jonathan Anguelov (Aircall). Le centaure du SaaS et l’une des juges célèbres les plus respectées de Qui Veut Être Mon Associé. Ancien fondateur d’une licorne, Aircall reste l’une des plus belles success stories du SaaS français. Il combine l’expérience de scale-up avec la mentalité d’investisseur patient. Il est celui qui fait le pont entre la French Tech et l’écosystème européen.
Cette composition des juges célèbres révèle un changement d’ère : ce n’est plus le jury du « oui ou non ». C’est le jury des « sous quelle condition ? »
Voilà ce qu’on ne dit jamais : le conflit quantique
L’illusion la plus toxique que QVEMA entretient est que la narration compte plus que le labeur. C’est des foutaises (bullshit).
Chaque juré incarne une philosophie d’investissement. Et le spectacle, c’est qu’ils se contredisent, se confrontent, se croisent sur scène en temps réel.
Simoncini vote intuition. Larchevêque exige la preuve. Bourbon accepte l’incertitude. Lhabouz la négocie. Karam construisait déjà avant de parler. Entre ces mondes incompatibles, le fondateur devient transparent. Non pas parce qu’on lui pose les bonnes questions—mais parce qu’il ne peut pas jouer le même rôle avec sept investisseurs qui n’obéissent pas à la même logique.
Le pitch devient une épreuve de force quantique : vous devez être à la fois l’onde de vision (Simoncini) et la particule de code (Larchevêque). C’était, pour reprendre l’expression de ma grand-mère, vouloir le beurre et l’argent du beurre. Tentez d’être l’un sans l’autre, et vous vous effondrez en moins de 90 secondes. Ceux qui réussissent ne sont pas les meilleurs storytellers. Ce sont les plus robustes intellectuellement.
C’est là que le spectacle devient révélateur.
Le réel contre la narration
Voici l’erreur la plus commune : confondre le taux de présence télévisuelle avec la substance économique.
La saison 5 s’est jouée devant 1,8 millions de téléspectateurs en moyenne, selon RTL Group qui publie les chiffres d’audience officiels de M6. Chaque pitch était une narration de 90 secondes. Et pourtant, 40 % des projets ont rejeté pendant que d’autres se sont vu proposer des chèques à six chiffres, selon les données compilées par Blast Club.
La beauté du mécanisme, c’est que le spectacle force la clarté. On ne peut pas mentir sur un plateau avec ces juges célèbres de Qui Veut Être Mon Associé, sept paires d’yeux entrainées à détecter l’arnaque. Les mensonges, les failles de logique, les business models fragiles—tout remonte en surface en moins de deux minutes.
Les 12,6 millions d’euros de la saison 5 ne se sont pas distribués de façon aléatoire. Ils ont obéi à des critères : viabilité financière, maturité du fondateur, justification sociale de la venture, tous documentés dans le bilan de Blast Club.
C’est l’inverse du mythe. Le spectacle ne fabrique pas les illusions. Il les détruit.
La transition générationnelle invisible
La vraie révolution de la saison 6 n’est pas visible à l’écran.
Elle réside dans le passage de main entre les juges célèbres du capital-risque « classique » (Simoncini, Larchevêque—la génération des années 2000) et les juges du capital-risque « construit » (Lhabouz, Karam, Anguelov—la génération de l’impact et du scale-up).
Cette transition redéfinit les critères d’investissement. Ce n’est plus « avez-vous une belle idée ? » C’est « avez-vous compris où l’économie va, et pouvez-vous y arriver avant les autres ? »
Anguelov, en particulier, représente cette mutation. Il ne vient pas d’un fonds VC traditionnel. Il vient d’une scale-up qu’il a menée jusqu’à l’unicorn. Il sait ce que coûte de faire croître une entreprise. Il sait aussi que 95 % des fondateurs ne le sauront jamais. Et c’est cette lucidité—pas l’optimisme—qui le rend redoutable en tant qu’investisseur. Quelle ironie, non ?
Bon, et maintenant, la question qui fâche
Reste une question ouverte : jusqu’où ce format de Qui Veut Être Mon Associé peut-il aller ?
La saison 6 conserve les mêmes patterns que la saison 5 : 1 minute 30 de pitch, un jury diversifié, des investissements réels, une diffusion de masse. Le risque, c’est l’usure de la formule. Les téléspectateurs finiront par chercher ailleurs si chaque saison de QVEMA se répète.
Mais est-ce vraiment le risque ? Je n’en suis pas si sûr.
Il y a une hypothèse plus intéressante. Et si le vrai spectacle de Qui Veut Être Mon Associé, c’était de montrer comment l’écosystème grandit ? Pas de nouvelles stars, mais une profondeur croissante. Les fondateurs de saison 6 seront peut-être moins charismatiques que ceux de saison 5, mais plus réalistes. Les deals seront plus petits, mais plus solides. Les juges célèbres seront plus exigeants.
Ce serait un signal : l’écosystème français du capital-risque arrête de jouer à l’Amérique. Il devient lui-même.
C’est une clarté brutale. Et me croirez-vous si je vous dis que c’est la seule façon que la French Tech ait trouvée pour devenir adulte ?

