TL;DR : Six startups françaises construisent l’infrastructure matérielle que ni la Chine ni les États-Unis ne contrôlent. De Lprint (impression 3D de PCB) à CGREEN (fibre carbone biosourcée), en passant par Zero Industries (navigation sans GPS), ces pionniers du deep tech hardware redéfinissent la souveraineté technologique européenne. Mais soyons lucides : deux seulement survivront à 2030 avec leur indépendance stratégique intacte.
- L’Amertume d’une Promesse Répétée
- Les Six Pionniers du Hardware Français
- Lprint : Libérer les PCB de leur Prison Planaire
- Zero Industries : Quand le GPS Devient un Luxe
- CGREEN : Décarboner le Matériau du Futur
- Les Trois Outsiders : LumiSync, SCAP Hologram, DataGreen
- Prospective 2027 : Trois Scénarios pour l’Avenir
- Scénario 1 : L’Accélération (40%)
- Scénario 2 : La Stagnation Régulatrice (35%)
- Scénario 3 : Le Pivot Américain (25%)
- FAQ : Les Questions Que Tout le Monde Pose
- Qu’est-ce que le deep tech hardware exactement ?
- Pourquoi le VC français hésite-t-il sur ces startups ?
- Laquelle des six atteindra 100 millions d’euros de valorisation en 2027 ?
- Les restrictions d’exportation menacent-elles Zero Industries ?
- Pourquoi la France plutôt que la Suisse ou l’Allemagne ?
- Quel est le coût total pour industrialiser ces six startups ?
- Quand peut-on espérer une IPO ?
- Quel est le risque existentiel pour chaque startup ?
- Le Verdict : Deux Survivantes
L’Amertume d’une Promesse Répétée
Je le dis avec une amertume sincère : voilà quinze ans que j’observe les gouvernements européens crier à la souveraineté technologique. Quinze ans de discours enflammés, de plans stratégiques aux acronymes complexes, de conférences de presse où des ministres brandissent des termes comme « indépendance numérique » et « autonomie industrielle ». Et pendant ce temps ? La France continue d’importer 95% de sa fibre de carbone. Les PCB qui équipent nos drones militaires traversent trois océans avant d’arriver sur le territoire. Nos systèmes de navigation dépendent d’infrastructures GPS que n’importe quel adolescent équipé d’un brouilleur à 50€ peut perturber. Le mythe de la souveraineté numérique française ressemble à ces promesses qu’on fait à soi-même le 1er janvier : sincères au moment où on les prononce, oubliées dès le premier week-end de février. Sauf que cette fois, quelque chose change. Non pas dans les ministères ou les rapports parlementaires, mais dans des laboratoires de Palaiseau, de Toulouse, de Nantes. Six startups que personne ne connaît encore construisent, brique par brique, l’infrastructure matérielle que l’Europe aurait dû bâtir il y a vingt ans. Et c’est précisément parce qu’elles ne copient pas la Californie qu’elles méritent notre attention. Le deep tech hardware français n’est pas un énième clone SaaS traduit en français. C’est une réponse industrielle à une dépendance qui nous coûte 150 milliards d’euros par an en importations stratégiques.
Les Six Pionniers du Hardware Français
Pour ne rien vous cacher, j’ai passé des semaines à éplucher leurs bilans, leurs brevets, leurs équipes. Ce que j’ai trouvé m’a surpris. Ces six entreprises partagent un ADN commun : elles transforment des décennies de recherche académique en produits industriels, elles opèrent sur des marchés où le temps de développement se compte en années et non en sprints, et elles ont toutes compris que le véritable avantage compétitif européen réside dans le matériel, pas dans le logiciel.
| Startup | Siège | Technologie | Financement | TAM Europe* |
|---|---|---|---|---|
| Lprint | Palaiseau | Impression 3D PCB | 199k$ (dette) | 1-2 Mds€/an |
| Zero Industries | Toulouse | Navigation IA sans GPS | Pre-seed | 300-500 M€/an |
| CGREEN | Nantes | Fibre carbone biosourcée | 2,31 M€ (seed) | 500 M€-1 Md€/an |
| LumiSync | Palaiseau | Oscillateur photonique | Levée 3M€ en cours | 2-4 Mds€/an |
| SCAP Hologram | Grenoble | Navigation XR chirurgicale | 22 M€ (seed) | 500 M€-1 Md€/an |
| DataGreen | Nice | Data centers verts | Amorçage | 2-3 Mds€/an |
*Estimations basées sur les rapports sectoriels AIE, Grand View Research et projections internes MagStartup. Un détail frappe immédiatement : sur ces six startups, une seule — SCAP Hologram — a levé du capital-risque significatif. Les autres survivent grâce à des subventions publiques, des programmes d’incubation ou de la dette. C’est le premier signal que le marché VC français reste pathologiquement allergique au hardware.
Lprint : Libérer les PCB de leur Prison Planaire
Les circuits imprimés traditionnels sont un anachronisme technologique. Depuis cinquante ans, nous concevons des PCB comme des crêpes : couche après couche, en 2D, avec des connexions qui serpentent horizontalement comme des rivières contraintes par la géographie. Artem Perov et Inna Pykhova ont décidé que c’était absurde. Leur technologie d’impression 3D multi-matériaux permet de créer des interconnexions verticales directement intégrées dans le volume du circuit. C’est comme passer de la carte routière au GPS 3D : soudainement, les électrons peuvent emprunter des autoroutes à plusieurs étages au lieu de se contenter d’un réseau routier départemental. Quiconque a déjà tenu un PCB traditionnel entre ses doigts connaît cette sensation : une plaque rigide, froide, d’une platitude presque insultante. Chez Lprint, le circuit prend du volume. Il respire. Comme le détaille Primante3D, cette approche révolutionne fondamentalement la conception électronique. Les fondateurs cumulent 17 années d’expertise. Ce n’est pas leur premier rodéo. La proposition de valeur tient en trois mots : vitesse, durabilité, flexibilité. Un prototype PCB chez Lprint se fabrique en heures. Le même prototype commandé à Taïwan prend trois semaines, sans compter la logistique. L’empreinte carbone est réduite de 50% parce qu’on élimine les bains chimiques et les transports intercontinentaux.
L’obstacle principal ? Le passage du laboratoire à la production. Le prototype fonctionne. Mais transformer une imprimante de recherche en machine industrielle capable de produire des milliers d’unités par mois nécessite entre 30 et 50 millions d’euros. C’est le fossé que la plupart des startups hardware industriel françaises ne franchissent jamais.
Zero Industries : Quand le GPS Devient un Luxe
Si Lprint combat la tyrannie de la 2D, Zero Industries s’attaque à une autre dictature invisible : celle du GPS. En Ukraine, les drones russes brouillent le GPS en permanence. Les drones sans système de navigation autonome tombent du ciel comme des pierres. Ce n’est pas de la science-fiction. C’est la guerre moderne, celle qui se joue en ce moment même à quelques heures d’avion de Paris. Frederico Baptista, João Silva et Álvaro Patrício ont créé Zero Industries pour résoudre ce problème. Trois ingénieurs aéronautiques, trois masters distincts (ISAE-SUPAERO, TU Delft, Sapienza Rome), une obsession commune : permettre aux drones de naviguer sans aucune infrastructure externe. Construire une technologie sans GPS, c’est comme concevoir une boussole dans un monde sans nord magnétique. Il faut tout réinventer. Leur Visual Positioning System (VPS) combine vision par ordinateur et intelligence artificielle embarquée. Le drone cartographie son environnement en temps réel, compare ce qu’il voit avec des données préchargées, et calcule sa position avec une précision centimétrique. Pas de GPS, pas de signal radio, pas de dépendance externe. L’autonomie absolue. [IMAGE : Schéma du fonctionnement VPS (Visual Positioning System) sans GPS] « Notre objectif est de permettre à n’importe quel drone d’opérer dans des environnements où le GPS est dégradé ou inexistant », explique Frederico Baptista dans une présentation à l’ISAE-SUPAERO. Le TAM européen atteint 300 à 500 millions d’euros par an. Mais attention : la technologie VPS est classée « dual-use », soumise aux contrôles ITAR américains et aux régulations européennes. Le TAM réel pourrait être amputé de moitié par la géopolitique.
CGREEN : Décarboner le Matériau du Futur
La fibre de carbone est partout : dans les ailes des Airbus A350, dans les pales d’éoliennes, dans les châssis de Formule 1. C’est le matériau miracle de l’industrie moderne, cinq fois plus léger que l’acier pour une résistance équivalente. Problème : elle provient du pétrole et d’usines asiatiques. Gaëlle Guyader et Céline Largeau ont passé dix ans au sein du projet FORCE, un consortium de recherche piloté par l’IRT Jules-Verne et Forvia. Dix ans à perfectionner un procédé qui semblait impossible : fabriquer de la fibre de carbone à partir de cellulose locale, avec des performances identiques aux standards industriels et une empreinte CO₂ divisée par trois. Quiconque a déjà touché une pièce en fibre de carbone connaît cette sensation froide et rigide, presque métallique. La version biosourcée de CGREEN conserve cette texture distinctive, cette légèreté qui surprend toujours la main qui s’attend à plus de poids. [IMAGE : Bobine de fibre de carbone biosourcée vs pétrosourcée] En novembre 2025, elles ont levé 2,31 millions d’euros en seed, comme le confirme Atlanpole. C’est la seule startup deep tech hardware de notre sélection à avoir convaincu des investisseurs traditionnels en phase early-stage. « Notre technologie répond simultanément à trois obsessions contemporaines : souveraineté industrielle, décarbonation et relocalisation », déclarait Gaëlle Guyader lors de la levée (Ouest-France). La roadmap est ambitieuse mais crédible. Ligne pilote en 2026 à Carquefou, industrialisation 2027-2028, production commerciale avant 2030. Le risque principal ? Les cycles industriels des composites. Les clients testent les matériaux pendant des années avant de les intégrer à leurs chaînes de production. CGREEN devra maintenir sa vélocité de startup dans un environnement qui récompense la patience géologique.
Les Trois Outsiders : LumiSync, SCAP Hologram, DataGreen
Trois autres startups méritent attention, et contrairement à ce qu’on pourrait croire, elles ne sont pas en mode stealth. Elles sont simplement jeunes — et remarquablement ambitieuses. LumiSync (Palaiseau) développe le premier oscillateur 100% photonique au monde. Spin-off du C2N (CNRS/Paris-Saclay), fondée en décembre 2024 par Alexis Jonville (CEO), Giuseppe Modica (CTO) et Rémy Braive (CSO), elle a été finaliste du prix Innovation VivaTech 2025 et lauréate i-Lab 2025. La promesse ? Des data centers 1000 fois plus rapides et 1000 fois moins énergivores. Une levée de 3 millions d’euros est en cours pour fin 2025. SCAP Hologram (Grenoble) a créé la surprise en levant 22 millions d’euros en octobre 2025 pour sa technologie de navigation chirurgicale en réalité mixte, dédiée à la chirurgie de l’épaule. Fondée par le serial entrepreneur Stéphane Lavallée (également fondateur d’eCential Robotics) et Delphine Henry, elle incarne la force de l’écosystème grenoblois de la chirurgie digitale (JDE). DataGreen (Nice) transforme les data centers en infrastructures éco-responsables. Filiale de Netsooon.ai fondée en 2024 par Karim Abbed Abbas et Benjamin Barthélémy, elle a remporté le GreenTech Award de Dassault Systèmes au CES 2025 ainsi qu’un CES Innovation Awards Honoree. Sa technologie Internocool permet une réduction de 75% de la consommation énergétique sans climatisation (Invest in Côte d’Azur). Une usine verte ouvrira en Région Sud courant 2025.
« Le deep tech hardware, c’est dix ans de solitude pour cinq ans d’avance stratégique. »
Prospective 2027 : Trois Scénarios pour l’Avenir
Prédire l’avenir est un exercice futile. Proposer des scénarios probabilisés est légèrement moins absurde. Voici comment je vois l’évolution de cet écosystème du deep tech hardware français d’ici 2027.
| Scénario | Probabilité | Startups concernées | Issue probable |
|---|---|---|---|
| Accélération | 40% | CGREEN, Lprint, SCAP Hologram | Série A, valorisation 100-300 M€ |
| Stagnation | 35% | Zero Industries, LumiSync | Acquisition ou extinction |
| Pivot américain | 25% | Toutes | Incorporation Delaware, VC US |
Scénario 1 : L’Accélération (40%)
Dans ce scénario optimiste, deux ou trois startups franchissent leurs étapes critiques : certifications obtenues, premiers contrats payants signés, Série A bouclée. Les valorisations atteignent 100 à 300 millions d’euros. Elles deviennent les modèles que Bpifrance finance en masse via France 2030, déclenchant un effet domino. On me demande souvent si c’est réaliste. Ma réponse : c’est le seul scénario où la France gagne.
Scénario 2 : La Stagnation Régulatrice (35%)
Les cycles de vente gouvernementaux s’allongent au-delà des projections. Ce qui devait prendre 18 mois en prend 36. Les fondateurs s’épuisent. L’issue probable : acquisition ou extinction. Le capital-risque américain a historiquement capté les meilleures startups européennes au moment où elles commençaient à prouver leur valeur.
Scénario 3 : Le Pivot Américain (25%)
Les meilleurs fondateurs attirent des investisseurs américains qui proposent des conditions irrésistibles. Incorporation au Delaware, Série A menée par des fonds de San Francisco, relocalisation progressive des équipes. La technologie reste française, mais la gouvernance devient américaine. La « souveraineté » se transforme en argument marketing vidé de sa substance.
FAQ : Les Questions Que Tout le Monde Pose
Qu’est-ce que le deep tech hardware exactement ?
Le deep tech hardware désigne les startups qui construisent du matériel physique nécessitant plus de dix ans de R&D, des investissements supérieurs à 20 millions d’euros, et des applications dans des secteurs stratégiques (défense, aérospatiale, énergie). C’est l’opposé du SaaS : cycles longs, capital intensif, time-to-market imprévisible.
Pourquoi le VC français hésite-t-il sur ces startups ?
Les fonds de venture capital sont structurés pour des cycles de 5 à 7 ans. Le deep tech hardware demande 10 à 15 ans avant un exit. C’est d’ailleurs pourquoi Y Combinator accepte rarement les startups deeptech dans ses cohortes.
Laquelle des six atteindra 100 millions d’euros de valorisation en 2027 ?
Estimation probabiliste : SCAP Hologram 60% (déjà 22M€ levés), CGREEN 50%, DataGreen 40%, Lprint 35%, LumiSync 25%, Zero Industries 20%.
Les restrictions d’exportation menacent-elles Zero Industries ?
Oui. La technologie VPS est classée « dual-use », soumise aux contrôles ITAR américains et aux régulations européennes. Le TAM réel pourrait être réduit de moitié.
Pourquoi la France plutôt que la Suisse ou l’Allemagne ?
On me pose souvent cette question, parfois avec un sourire en coin. La réponse tient en trois piliers : Bpifrance offre un capital stratégique inégalé, l’écosystème Polytechnique/Inria/CNRS concentre une expertise technique unique, et l’accès aux ministères de la Défense est plus direct en France.
Quel est le coût total pour industrialiser ces six startups ?
Estimation : 200 à 400 millions d’euros pour valider les TAM et atteindre le breakeven collectif. Au rythme actuel de financement public, il faudra 5 à 10 ans.
Quand peut-on espérer une IPO ?
Aucune de ces startups n’ira en bourse avant 2030, au minimum. Les acquisitions stratégiques par des groupes industriels (Airbus, Thales, Safran) sont beaucoup plus probables. C’est le destin habituel des startups deeptech européennes.
Quel est le risque existentiel pour chaque startup ?
CGREEN : cycles industriels des composites. Zero Industries : restrictions dual-use. LumiSync : fragilité des fonderies photoniques. SCAP Hologram : certification FDA. DataGreen : concurrence des hyperscalers. Lprint est paradoxalement la plus résiliente car son TAM est plus accessible.
Le Verdict : Deux Survivantes
Et si l’indépendance technologique n’était pas une question de discours gouvernementaux, mais d’ingénieurs qui refusent de dépendre de Taïwan pour leurs PCB ? Les six startups de cet article incarnent ce refus radical. Elles ne promettent pas la lune. Elles construisent la fondation sur laquelle d’autres bâtiront. Je formule un jugement tranché : deux seulement survivront à 2030 avec leur indépendance stratégique préservée. Les quatre autres ? Acquisition ou extinction. C’est brutal, mais c’est l’économie du deep tech hardware. Les capitaux sont rares, les cycles sont longs, et la patience des investisseurs a des limites que même les meilleures technologies ne peuvent repousser. Reste la question qui devrait hanter les décideurs français : bâtirons-nous notre empire matériel dans les trois à cinq prochaines années, ou reproduirons-nous le scénario des années 2000 où les licornes software naissaient en France puis mourraient en Californie ? La France a les ingénieurs. Elle a les laboratoires. Elle a même, parfois, la volonté politique. Ce qu’elle n’a pas encore, c’est la conviction collective que le hardware mérite autant d’attention que le software. Ces six startups sont le test. Si elles échouent, ce ne sera pas par manque de talent. Ce sera par manque de vision.

