Dans les ateliers d’assemblage d’Airbus à Toulouse, le fracas métallique des riveteuses ne s’arrête jamais. Des centaines de mains humaines répètent les mêmes gestes pendant des quarts de huit heures, sous des lampes halogènes qui fatiguent les yeux. L’odeur du métal chaud se mélange à celle du lubrifiant industriel. La fatigue s’accumule après la quatrième heure. Les erreurs aussi. Trois ingénieurs qualité ont vu leur carrière brisée par un lot de rivets mal inspectés—des millions d’euros de pertes, des retards de livraison catastrophiques.
- Charles-Henri Blanchet : Vingt Ans de Terrain, Pas de Garage Californien
- Pourquoi l’Inspection Micronique (Et Pas les Robots Qui Dansent)
- France 2030 : Trente-Six Mois Avant la Saturation Concurrentielle
- Trois Trajectoires 2027
- Scénario 1 : Leader Européen — Croissance Explosive (15-20%)
- Scénario 2 : Acteur de Niche — Croissance Modérée (60-65%)
- Scénario 3 : Sortie Contrainte — Acquisition ou Pivot (20-25%)
- Quatre Obstacles Que Personne N’Ose Nommer
Pendant ce temps, dans les ministères parisiens, les discours sur la « souveraineté technologique » se multiplient. C’était faux. Ou plus précisément : creux. Parce que l’indépendance stratégique réelle ne se construit pas avec des PowerPoint—elle se construit avec des mains robotiques capables d’inspecter un rivet à l’échelle micronique sans jamais dévier du protocole. Sans fatigue. Sans erreur.
C’est exactement ce que construit Manifest, startup française fondée en mars 2025 par Charles-Henri Blanchet à Toulouse. Pas un énième robot humanoïde généraliste. Des robots d’inspection de précision micronique dédiés à l’aéronautique et à la défense française—là où l’erreur coûte des vies et des centaines de millions d’euros.
Le marché français de la robotique humanoïde représentait 26,2 millions de dollars en 2023 et devrait atteindre 76,7 millions de dollars en 2030 selon Grand View Research. Le gouvernement a alloué 30 millions d’euros via France 2030 pour accélérer cette transformation. Mani fest arrive au moment précis où cette convergence crée une fenêtre de 36 mois—avant que les concurrents américains et asiatiques ne saturent le marché européen.
Charles-Henri Blanchet : Vingt Ans de Terrain, Pas de Garage Californien
Pour être tout à fait franc, le profil du fondateur constitue l’un des signaux les plus révélateurs. Charles-Henri Blanchet n’est pas un visionnaire technologique qui tweete sur l’AGI depuis Palo Alto. C’est un opérateur qui a passé 20 ans à construire et scaler des entreprises technologiques réelles. Son track-record inclut la participation à 5 startups totalisant 4 milliards de dollars de valorisation collective—pas des valorisations sur pitch deck, mais des exits documentés.
Son passage comme Operating Partner chez DNX Ventures (spécialisé en due diligence deeptech) lui a donné une vision chirurgicale des failure modes. Trop de fondateurs IA ignorent les cycles de vente réels. Blanchet, lui, maîtrise trois compétences rarement réunies : la gestion des cycles de vente gouvernementaux longs (18-40 mois en moyenne pour les contrats défense), l’application de la Theory of Constraints au manufacturing industriel, et surtout—un réseau B2B2G déjà constitué.
Blanchet a volontairement quitté plusieurs boards d’administration pour se concentrer exclusivement sur la startup Manifest. Ce n’est pas du storytelling romantique. C’est un signal économique. Il a vu la convergence : France 2030 lance ses derniers appels à projets robotique (800 millions d’euros d’allocation totale), la Direction Générale de l’Armement (DGA) active ses programmes d’automatisation du contrôle non destructif, et Bpifrance annonce un fonds Défense de 450 millions d’euros pour octobre 2025.
Le timing n’est pas accidentel. C’est calculé.
Pourquoi l’Inspection Micronique (Et Pas les Robots Qui Dansent)
Franchement, le mythe du robot humanoïde universel est une foutaise commerciale. Figure AI lève 1 milliard de dollars pour développer des robots domestiques polyvalents. Apptronik collecte 403 millions de dollars pour Apollo. Boston Dynamics fascine les médias avec Spot qui fait des acrobaties. Mais à quel prix ? 250 000 à 500 000 dollars par unité selon les estimations sectorielles, sans aucune garantie de conformité aux normes ISO 9001 françaises.
La Frenchtech Manifest adopte la stratégie inverse. D’après son manifeste technologique officiel, l’entreprise se concentre sur un cas d’usage ultra-spécifique : l’inspection de précision pour composants critiques en aéronautique et défense. Les robots intègrent des capteurs multi-spectraux, des laser profilomètres pour la cartographie de contours à l’échelle micronique, et des eddy-current sensors permettant de détecter les délaminations sous surfaces composites.
La proposition de valeur repose sur trois piliers techniques vérifiables : dérive nulle en étalonnage (contrairement aux systèmes optiques classiques qui dégradent de 0,1-1% par an), zéro déviation des Standard Operating Procedures (SOP), et journaux d’inspection entièrement auditables. Cette approche répond directement aux exigences de certification aéronautique où la traçabilité totale constitue un prérequis non négociable.
| Attribut | Figure AI / Apptronik | Boston Dynamics | Manifest |
|---|---|---|---|
| Architecture | Générique universelle | Mobilité tout-terrain | Inspection-first spécialisée |
| Capteurs | RGB-D basique | Lidar + RGB | Multi-spectrum + laser + eddy-current |
| Calibration | 0,1-1% drift/an | Non documenté publiquement | Zéro drift garanti* |
| Compliance | AI Act générique | Non certifié RGPD | RGPD + AI Act natif |
| Prix unitaire | Non communiqué | 250-500K$ (estimé)** | Modèle service (non communiqué) |
| Marché cible | Consumer + logistics | Industriel générique | Aéronautique + défense France |
* Selon documentation technique Manifest / ** Estimation sectorielle basée sur prix catalogue Spot Enterprise
Cette spécialisation radicale limite le marché adressable total mais maximise la probabilité de capture. La startup française Manifest n’a besoin de conquérir que 2 à 5 clients majeurs (Airbus, Thales, Dassault Aviation, DGA) pour atteindre un ARR de 5 à 10 millions d’euros d’ici 2027. C’est un marché de partenariats clés, pas d’adoption de masse.
France 2030 : Trente-Six Mois Avant la Saturation Concurrentielle
Quoi qu’il en soit, comprendre Manifest sans comprendre le contexte budgétaire français serait une erreur d’analyse fatale. La Loi de Programmation Militaire (LPM) 2024-2030 alloue 413,3 milliards d’euros au budget défense total—une augmentation de 40% par rapport à la LPM précédente selon les données officielles du ministère. À l’intérieur de cette enveloppe, la robotique militaire passe d’investissements marginaux à plus de 450 millions d’euros annuels.
Parallèlement, le programme TIRREX du CNRS déploie 30 millions d’euros pour la recherche fondamentale en robotique humanoïde. Bpifrance complète ce dispositif avec son Defense Fund de 450 millions d’euros annoncé pour octobre 2025.
Cette convergence génère un effet de levier économique mesurable : la France accepte de payer une prime de 20 à 30% pour des technologies certifiées non-dépendantes. Les contrats gouvernementaux deviennent ainsi pré-justifiés sur critères stratégiques. La pénurie chronique de main-d’œuvre qualifiée (la France compte 177 robots pour 10 000 travailleurs contre 400 en Allemagne selon l’International Federation of Robotics) transforme l’automatisation d’impératif économique en urgence nationale.
Mais—et c’est là que la transparence radicale s’impose—cette fenêtre reste limitée dans le temps. Sous 36 à 48 mois, Boston Dynamics aura probablement ouvert une filiale européenne opérationnelle. Figure AI aura signé ses premiers contrats avec Airbus. Les acteurs chinois auront contourné les sanctions via des joint-ventures. Manifest doit prouver sa viabilité maintenant. Pas en 2028.
Trois Trajectoires 2027
Scénario 1 : Leader Européen — Croissance Explosive (15-20%)
Manifest signe 2 contrats gouvernementaux structurants (Armée de Terre + DGA pour automatisation DROIDE) et 5 à 8 contrats aéronautiques commerciaux. Une levée de Série A de 30 à 50 millions d’euros se matérialise en 2026, orchestrée par Bpifrance Defense Fund et un fonds corporate (Safran Ventures ou Airbus Ventures). L’équipe scale à 25-35 collaborateurs.
Métriques 2027 : ARR de 8 à 12 millions d’euros, 15 à 25 clients actifs, valorisation 200 à 400 millions d’euros. Manifest devient le champion européen de l’inspection robotique. Extensions possibles : contrats ESA pour structures spatiales, licensing technologique avec royalties passives.
Scénario 2 : Acteur de Niche — Croissance Modérée (60-65%)
Plus probablement, Manifest AI évolue en prestataire spécialisé pour 2 à 3 clients ancres. Les cycles de vente gouvernementaux s’allongent au-delà de 36 mois, reportant les revenus. Le capital seed couvre 24 à 30 mois, nécessitant une Série A urgente dès H1 2026. L’équipe reste lean (8 à 15 personnes).
Métriques 2027 réalistes : ARR de 2 à 4 millions d’euros, 3 à 5 clients actifs, burn rate de 150 à 250K€/mois, valorisation Série A de 40 à 80 millions d’euros. Manifest survit mais reste un acteur secondaire sans domination sectorielle.
Scénario 3 : Sortie Contrainte — Acquisition ou Pivot (20-25%)
Les délais contractuels dépassent 40 mois, épuisant le runway avant signature des contrats structurants. La concurrence des géants intensifie la pression. Les tech moats se révèlent réplicables par des compétiteurs mieux capitalisés.
Trajectoire probable : mi-2026, runway critique sans Série A confirmée. H2 2026, pivot contraint vers solutions client-spécifiques. 2027, acquisition stratégique par Thales, Safran ou KNDS France pour 20 à 50 millions d’euros. Manifest devient division robotique d’un groupe industriel—survie garantie, indépendance stratégique perdue.
Indicateurs d’alerte : victoires contractuelles < 1/trimestre (Q4 2025, Q1 2026), Série A sous-souscrite, turnover des cadres clés.
Quatre Obstacles Que Personne N’Ose Nommer
Et pourtant, derrière les projections optimistes, quatre risques structurels méritent une analyse sans complaisance.
Premier obstacle : Le cycle B2B2G comme risque existentiel
Les contrats gouvernementaux en défense nécessitent en moyenne 18 à 48 mois entre première présentation et signature. Cette friction résulte de processus multi-niveaux : validation technique DGA, approbation budgétaire parlementaire, audits de sécurité. Pendant cette période, Manifest consomme du capital sans générer de revenus. Aucune startup seed, quelle que soit la qualité de son équipe, ne survit 4 ans sans cash-flow.
La seule mitigation viable : signer des contrats pilotes payants dès 2025 (même à marge négative) pour démontrer traction aux investisseurs Série A.
Deuxième obstacle : Des moats contestables
Les capteurs multi-spectraux et laser profilomètres ne sont pas propriétaires. Ils sont commercialisés par Cognex, Keyence, Sick AG. Les algorithmes de vision reposent sur des frameworks open-source (OpenCV, TensorFlow). Le différenciateur réel réside dans l’intégration système (réplicable sous 18-24 mois), la certification qualité (franchissable), et les données d’entraînement propriétaires (nécessitant 3 à 5 ans).
Le timing d’exécution devient donc l’avantage concurrentiel principal—plus critique que la technologie elle-même.
Troisième obstacle : Les restrictions dual-use à l’export
Toute technologie robotique défense française tombe sous le régime des restrictions d’exportation dual-use (règlement UE 2021/821). Chaque contrat international nécessite une autorisation préalable. Ces procédures tuent statistiquement 60% des startups deeptech qui tentent le scale international, selon les données Bpifrance sur les échecs 2018-2023.
La stratégie de contournement : architecturer deux versions parallèles (défense certifiée + civil-only). Mais cela double les coûts de R&D.
Quatrième obstacle : Recruter à Toulouse, pas à Paris
Manifest nécessitera rapidement un CTO hardware de niveau mondial, un VP Engineering IA, et un Chief Compliance Officer AI Act. Recruter ces profils à Toulouse—plutôt qu’à Paris (qui concentre 68% des talents deeptech français selon l’Observatoire French Tech 2024)—constitue un handicap structurel.
L’écosystème toulousain offre des atouts (LAAS-CNRS, proximité Airbus), mais souffre d’un déficit de seniors expérimentés. La solution passe par du recrutement mixte (remote partiel) et une politique salariale agressive—complexifiant les coûts.
Questions Fréquentes
Qu’est-ce que Manifest ?
Manifest est une startup française fondée en mars 2025 par Charles-Henri Blanchet, basée à Toulouse. Elle développe des robots humanoïdes spécialisés dans l’inspection de précision micronique pour l’aéronautique et la défense, avec conformité RGPD et AI Act native.
Qui est Charles-Henri Blanchet ?
Charles-Henri Blanchet cumule 20 ans d’expérience en scaling technologique. Il a participé à la construction de 5 startups totalisant 4 milliards de dollars de valorisation collective et fut Operating Partner chez DNX Ventures.
Profil LinkedIn de Charles-Henri Blanchet
Combien Manifest a-t-elle levé ?
Manifest a annoncé un tour Seed en mai 2025 sans communiquer le montant exact. Les benchmarks sectoriels suggèrent une fourchette de 500 000 à 2 millions d’euros selon Bpifrance.
Quel problème Manifest résout-il ?
Manifest adresse l’inspection qualité à précision micronique en environnement aéronautique et défense. Les robots garantissent zéro dérive calibration, audit trails complets et conformité stricte aux Standard Operating Procedures.
Quelle est la taille du marché robotique humanoïde en France ?
Le marché français représentait 26,2 millions de dollars en 2023 et devrait atteindre 76,7 millions de dollars en 2030 (CAGR 16,6%). Le marché adressable spécifique pour Manifest est estimé entre 19 et 32 millions d’euros sur 2025-2028.
Pourquoi pas Boston Dynamics ou Figure AI ?
Boston Dynamics et Figure AI ciblent des marchés généralistes avec des coûts prohibitifs (250 000 à 500 000 dollars par unité). Manifest se spécialise sur l’inspection de précision avec conformité réglementaire européenne native et accès privilégié au marché défense français.
Le Verdict : Indépendance Technologique ou Exit Industriel ?
Trois conditions déterminent la viabilité du pari Manifest. Premièrement, les investisseurs spécialisés deeptech défense (Bpifrance Defense Fund, Elaia Partners, 360 Capital) doivent signer une Série A substantielle avant Q2 2026. Deuxièmement, Manifest doit convertir au moins 2 contrats pilotes payants avant Q2 2026. Troisièmement, Charles-Henri Blanchet doit recruter un CTO hardware et un VP Engineering IA de niveau mondial.
Si ces conditions échouent, Manifest rejoindra la cohorte des champions deeptech français acquis pour 20 à 50 millions d’euros—une sortie honorable, mais loin de la promesse initiale d’indépendance technologique nationale.
Dans un monde où Figure AI lève 1 milliard de dollars en promettant la polyvalence universelle, Manifest promet une capacité singulière : inspecter sans erreur. Cette promesse est moins séduisante pour TechCrunch. Elle est infiniment plus crédible pour les directeurs qualité aéronautique et les procurement officers de la DGA. Les 18 prochains mois décideront si Manifest deviendra le fleuron robotique français ou un cas d’étude sur les limites du financement deeptech européen.

