Je me trompais. Pendant des années, j’ai cru que la bataille de l’IA se jouait sur les modèles. GPT-4, Llama, Claude. Une obsession pour la façade qui ignore la plomberie. C’est une leçon que j’ai apprise à mes dépens lors d’une conversation privée avec un fondateur parisien qui m’a dit : « Les agents IA ne parlent plus aux humains. Ils parlent aux systèmes. »
- Le MCP : dépasser le mythe de l’IA « intelligente »
- L’infrastructure comme avantage : ce que vend vraiment la plateforme
- 6M$ en pré-seed : le pari de Partech sur l’inévitable
- Le paradoxe du spécialiste face aux géants du cloud
- L’angle caché : sommes-nous prêts pour l’Internet « agentic » ?
- Ce que les investisseurs tech européens ont vraiment vu
- Pourquoi l’Europe doit regarder cette innovation de très près
- Verdict : le pari d’infrastructure de la décennie
Cette phrase m’a hanté pendant des semaines. Puis, soudain, tout a changé.
L’architecture actuelle n’est pas conçue pour la prochaine étape : un Internet où des agents IA autonomes interagissent non pas avec des humains, mais entre eux. C’est sur ce pari que la startup parisienne Alpic vient de lever 6 millions de dollars (5,1M€) en levée de fonds pré-seed. Un tour de table mené par Partech, avec Kima Ventures et K5 Global.
Leur mission ? Devenir la première plateforme cloud MCP-native en Europe pour le Model Context Protocol. Loin d’être un simple hébergeur, cette jeune pousse veut fournir la couche critique pour une nouvelle économie de services automatisés.
Le MCP : dépasser le mythe de l’IA « intelligente »
Soyons lucides. Nos IA actuelles sont brillantes mais stupides.
Elles manquent de contexte. Un LLM ne « sait » rien ; il prédit le prochain mot. Pour qu’un agent IA autonome devienne réellement utile — réserver un vol, analyser un P&L, puis commander un audit — il doit accéder au monde réel, comprendre des services externes et maintenir un état.
C’est le rôle du Model Context Protocol.
Pensez-y : si un LLM est un moteur de F1 (puissant mais immobile), le protocole MCP est le châssis, le pilote et le système de télémétrie. C’est un standard émergent qui permet aux agents de :
- Découvrir des services numériques (API, bases de données)
- Interagir avec eux de manière sécurisée
- Conserver un contexte (une mémoire) de leurs actions
La startup Alpic ne vend pas l’IA. Elle vend les routes et les péages sur lesquels cette IA va circuler. C’est un pari sur l’architecture, pas sur le modèle. Et c’est exactement là que j’ai compris mon erreur initiale.
L’infrastructure comme avantage : ce que vend vraiment la plateforme
Les développeurs qui tentent aujourd’hui de bâtir des serveurs MCP font face à un cauchemar logistique. Je connais au moins trois fondateurs qui ont abandonné leurs projets d’agents autonomes à cause de la complexité technique.
Gérer la sécurité, le scaling et la surveillance de ces nouveaux workloads est un enfer manuel. La solution développée par Alpic vise à abstraire cette complexité. Elle n’est pas un concurrent d’AWS ou GCP sur l’hébergement générique ; elle est une couche d’orchestration spécialisée.
La proposition de valeur se concentre sur trois piliers techniques :
- Déploiement natif MCP : Là où un développeur passerait des jours à configurer des serveurs, la plateforme promet un déploiement en quelques clics (Node.js, Python).
- Observabilité spécifique à l’IA : Oubliez les logs CPU/RAM. Des outils d’analyse conçus pour les agents : suivi des interactions, latence des décisions, coûts par agent.
- Sécurité et isolation : Le point le plus critique. Si un agent autonome a accès à vos API bancaires, la sécurité n’est pas une option. Le système gère l’isolation des contextes et l’authentification des agents.
C’est l’inverse du mythe selon lequel « l’architecture cloud est commoditisée ». Non. L’infrastructure pour agents IA autonomes est un territoire vierge.
6M$ en pré-seed : le pari de Partech sur l’inévitable
Six millions de dollars en pré-seed, c’est un montant qui signale une conviction forte. C’est un pari sur un marché qui n’existe pas encore pleinement.
L’annonce officielle de cette levée de fonds (septembre 2025), menée par Partech avec la participation de K5 Global, Kima Ventures, et des business angels stratégiques comme Olivier Pommel (Datadog), Alex Bouaziz (Deel), et Charles Goentin (Alan), ne porte pas sur les revenus actuels, mais sur la taille du marché futur.
Ce financement place la jeune pousse dans une position enviable mais dangereuse. Avec 6M$, est-elle « default alive » ? (Pour reprendre l’expression de Paul Graham). Pas encore. Cet argent n’est pas destiné à la croissance des ventes, mais à une course pour bâtir la norme avant que le marché ne se solidifie.
Voici ce qu’un investisseur m’a une fois chuchoté lors d’un événement à Paris : « On ne finance pas les meilleurs produits. On finance les meilleures fenêtres d’opportunité. »
Et la fenêtre d’opportunité est parfaite :
- Timing : Les agents IA passent du stade expérimental à la production de masse en 2025
- Technologie : Le protocole est un standard open-source soutenu par Anthropic (créateurs de Claude AI)
- Équipe : Fondateurs techniques avec une expérience en architecture cloud et IA
- Marché : TAM en explosion avec l’adoption massive de l’intelligence artificielle
Comme l’indiquent les analyses de Tech.eu et EU-Startups, les fonds de cette levée serviront à l’expansion de l’équipe R&D à Paris. C’est un investissement pur en capital intellectuel pour gagner la course à l’architecture.
Le paradoxe du spécialiste face aux géants du cloud
L’objection évidente est toujours la même : « Pourquoi Amazon, Google ou Microsoft ne pourraient-ils pas simplement ajouter une fonction MCP à leurs services existants ? »
Ma première réaction a été exactement celle-là. Puis j’ai réalisé : j’avais tort dès le départ.
C’est une vision simpliste de l’innovation technologique. Les géants du cloud sont des supermarchés. Ils sont lents, généralistes, et optimisés pour les workloads d’hier (le web, les VM, les conteneurs).
La startup parisienne est une boutique spécialisée.
Leur pari est que le Model Context Protocol n’est pas une feature mais une architecture fondamentalement nouvelle. Les besoins en sécurité, en monitoring et en interopérabilité des agents sont si spécifiques que les solutions généralistes seront toujours sous-optimales, plus chères et plus complexes.
C’est le schéma classique de la « dé-construction » (unbundling) du cloud. Me croirez-vous si je vous dis que c’est exactement comme ça que MongoDB a battu Oracle ? En construisant une base de données cloud-native pendant qu’Oracle adaptait un produit vieux de 30 ans.
Le projet ne se bat pas contre AWS ; il se bat pour un nouveau segment qu’AWS ne sert pas encore efficacement. Et si l’histoire se répète (et elle se répète toujours), les fondateurs sont en train de construire un futur unicorn SaaS français.
L’angle caché : sommes-nous prêts pour l’Internet « agentic » ?
Arrêtons-nous une seconde. Et là, j’ai compris quelque chose d’essentiel.
Le point le plus troublant n’est pas technique. Il est philosophique.
La vision décrite sur le blog officiel est celle d’un « Internet agentic » où des agents autonomes gèrent nos vies numériques. Pour être tout à fait franc, je ne suis pas sûr que la société soit prête pour cela.
Nous entrons dans un monde où le goulot d’étranglement n’est plus la puissance de calcul, mais la confiance. Faire confiance à un agent pour négocier un contrat ou gérer un portefeuille nécessite un niveau de sécurité et de fiabilité que nous n’avons jamais eu à concevoir auparavant.
Le succès ne dépendra pas seulement de la qualité du code. Il dépendra de sa capacité à devenir le « tiers de confiance » de cette nouvelle économie. C’est là que réside le véritable défi : construire non pas une solution technique, mais une architecture de confiance.
Ce moment — entre nous — révèle la vérité : l’infrastructure cloud des agents IA est la prochaine bataille majeure de la tech. Et contrairement aux batailles passées (mobile, SaaS, cloud), celle-ci ne sera pas gagnée par les géants historiques.
Ce que les investisseurs tech européens ont vraiment vu
Je dois m’avouer une hypocrisie : moi aussi, j’ai cru au mythe des plateformes « tout-en-un ». L’idée qu’une seule solution pouvait résoudre tous les problèmes de déploiement cloud. J’ai changé d’avis. Voici pourquoi.
Ce que Partech, K5 Global et Kima Ventures ont vu, c’est un marché en construction où il n’y a pas encore de leader établi. Contrairement au cloud computing traditionnel (dominé par AWS, Azure, GCP), le marché des plateformes MCP-natives est vierge.
Les investisseurs en capital-risque qui ont financé cette levée de fonds ne misent pas sur ce qui marche déjà. Ils misent sur ce qui va marcher demain. C’est exactement ce genre de pari que font les meilleurs fonds d’investissement tech.
Lors d’une conversation privée, un fondateur m’a confié : « Si la startup française Alpic réussit, elle ne sera pas juste une boîte de cloud. Elle sera le Stripe de l’internet des agents. »
Les plus grandes réussites technologiques (AWS, Stripe, Shopify, Snowflake) ont toutes commencé par construire une solution pour un marché émergent que personne ne prenait au sérieux au départ. C’est exactement la même trajectoire.
Et si vous regardez l’écosystème européen — Qovery qui lève 11,3M€ pour le multi-cloud, des acteurs comme Stack AI qui explorent l’orchestration IA — vous voyez un pattern : l’Europe construit l’architecture fiable pendant que les États-Unis font la course à la vitesse.
Pourquoi l’Europe doit regarder cette innovation de très près
Depuis des années, l’Europe cherche sa place dans la course à l’IA. Entre le modèle américain dominé par la vitesse et le modèle asiatique soutenu par l’État, la voie européenne reste celle de la fiabilité et de la régulation intelligente.
Cette approche s’inscrit dans cette philosophie : un cloud souverain, centré sur la sécurité, la transparence et la conformité aux standards européens (RGPD, AI Act). Son existence prouve qu’il est possible d’allier innovation profonde et rigueur réglementaire.
Et surtout, elle démontre qu’en matière d’IA, l’infrastructure est un terrain où l’Europe peut encore jouer à armes égales. C’est la seule façon que la French Tech ait trouvée pour devenir adulte : ne pas copier les modèles, mais construire les fondations.
Verdict : le pari d’infrastructure de la décennie
Quoi qu’il en soit, voici la vérité : cette startup française est encore en phase très early-stage. Elle vient à peine de boucler sa levée de fonds pré-seed, et la majorité de sa roadmap produit est encore à construire.
Mais ce qui me fascine, c’est que je suis en désaccord avec moi-même. D’un côté, je pense qu’il est trop tôt pour savoir si elle deviendra un acteur majeur. De l’autre, je vois tous les signaux d’un futur leader de catégorie.
La levée de fonds de 6 millions de dollars n’est pas un chèque pour une énième startup SaaS. C’est un investissement dans une architecture fondamentale pour un Internet qui n’existe pas encore. Le défi est double : non seulement construire la meilleure plateforme technique pour le Model Context Protocol, mais aussi évangéliser un marché et gagner sa confiance.
C’est une trajectoire à haut risque, mais la récompense potentielle est de devenir l’un des piliers de la prochaine décennie technologique.
Si les IA deviennent des citoyens du web, elles auront besoin d’un lieu où vivre, apprendre et collaborer. Ce lieu, Al pic veut le construire.
L’histoire ne dira peut-être pas qu’ils ont « créé un cloud », mais qu’ils ont donné une forme au contexte. Et c’est souvent là que naissent les révolutions silencieuses.
La question n’est plus « Est-ce que le projet va réussir ? » Mais plutôt : « Êtes-vous prêt à voir l’infrastructure cloud redéfinie par une startup parisienne ? »
Questions fréquentes
Qu’est-ce que le Model Context Protocol (MCP) exactement ?
Le MCP est un standard émergent qui permet aux agents d’IA (comme les LLM) d’interagir de manière fiable et sécurisée avec des services externes (API, bases de données). Il résout le problème du « contexte » : comment une IA peut-elle « se souvenir » de ses actions et comprendre le monde numérique qui l’entoure pour accomplir des tâches complexes.
Pourquoi cette levée de fonds si le marché du MCP n’est pas encore mature ?
C’est un pari sur l’architecture. L’argent n’est pas pour le marketing, mais pour la R&D. L’objectif est de bâtir la plateforme de référence et de définir la norme avant que le marché n’explose. C’est une course pour devenir le « système d’exploitation » de la prochaine vague d’IA avant que les géants ne se réveillent.
Les géants du cloud (AWS, GCP) ne vont-ils pas simplement copier ce modèle ?
C’est le risque principal, mais leur force est aussi leur faiblesse. AWS et Google sont généralistes et lents à s’adapter aux architectures radicalement nouvelles. Le pari est que la spécificité du protocole (sécurité, observabilité) nécessite une solution dédiée, un créneau que les géants ne peuvent pas servir aussi bien ou aussi rapidement.
Est-ce la seule entreprise à travailler sur les plateformes MCP ?
Le concept d’Internet « agentic » est exploré par plusieurs acteurs, mais c’est l’une des premières entreprises, et la première en Europe avec un tel financement, à se consacrer exclusivement à la construction d’une plateforme cloud commerciale native pour ce protocole.

